Para-olympique, la dignité retrouvée ?

Trouvé sur Médiapart l’interview  d’une « activiste » du handicap..

Je cite ici un extrait:

Les Jeux paralympiques ont été créés pour redonner de la dignité aux personnes handicapées, comme si nous ne pouvions pas être dignes autrement. C’est le terme qu’a utilisé Ludwig Guttmann, la personne qui a créé ces Jeux. Pour avoir le droit d’exister en tant que personnes handicapées dans l’espace public, il faut donc être exceptionnel·les, inspirant·es, se dépasser. Il y a un mécanisme de comparaison par le négatif : « Oh là là, iels sont tellement courageux et courageuses, je n’aimerais tellement pas être à leur place ! 

L’article lui même:

mediapart.fr

« Les Jeux paralympiques ont été créés pour donner de la dignité, comme si nous n’étions pas dignes »

Caroline Coq-Chodorge

7–9 minutes


Harriet de G se présente comme « une personne noire, handicapée et queer ».Militante, iel se situe à la croisée de plusieurs luttes – antivalidiste, contre les oppressions subies par les personnes handicapées, antiraciste et féministe – dans une démarche intersectionnelle. Le nom qu’iel s’est choisi est un hommage à deux grandes figures : l’écrivaine et révolutionnaire française Olympe de Gouges, pionnière du féminisme, et la militante afro-américaine contre l’esclavage Harriet Tubman.

Son blog et ses publications sont son espace d’expression « depuis la marge ». Iel livre une réflexion percutante sur les Jeux paralympiques, ces deux semaines tous les quatre ans où « le paysage audiovisuel donne la place à plus de diversité ». À ses yeux, cette exposition mondiale du handicap est « une plaie », parce que sont ressassés les clichés validistes, qui oscillent entre héroïsation et compassion.

Mediapart : Vous êtes une militant·e handicapé·e et racisé·e, et vous pensez ensemble ces différentes formes de discriminations. Le validisme se distingue-t-il ?

Harriet de G : Je me suis investi·e dans l’antivalidisme, en ayant déjà un passé politique : j’étais auparavant engagé·e sur les questions féministes, antiracistes. L’antivalidisme qui me parle cherche à intégrer les problématiques d’autres groupes marginalisés, à réfléchir à la manière dont sont construites les normes sexistes, racistes, validistes.

Les espaces militants sociaux, féministes ou antiracistes, ont du mal à comprendre les questions autour du handicap, à les percevoir comme quelque chose de politique. Là encore, il faudrait se suradapter à des espaces qui ne veulent pas de nous… C’est ce qui peut rendre le validisme différent d’autres discriminations. Le handicap est toujours perçu comme une tragédie personnelle

À mes yeux, le validisme fonctionne sur des logiques proches d’autres systèmes d’oppression. Il existe parce qu’on a créé une suite de normes auxquelles doivent appartenir les corps. Les personnes handies sont discriminées parce que leur corps est vu comme ayant une moindre valeur.

Les Jeux paralympiques sont un moment de médiatisation très large du handicap, de ces corps qui sortent de la norme. Ne peuvent-ils pas faire bouger des lignes ?

Il y a cette espèce de mythe selon lequel les Jeux paralympiques permettent de « changer le regard ». Ils existent depuis plus de soixante-dix ans, pourtant la perception du handicap a assez peu changé, en tout cas en France.

Les Jeux paralympiques ont été créés pour redonner de la dignité aux personnes handicapées, comme si nous ne pouvions pas être dignes autrement. C’est le terme qu’a utilisé Ludwig Guttmann, la personne qui a créé ces Jeux. Pour avoir le droit d’exister en tant que personnes handicapées dans l’espace public, il faut donc être exceptionnel·les, inspirant·es, se dépasser. Il y a un mécanisme de comparaison par le négatif : « Oh là là, iels sont tellement courageux et courageuses, je n’aimerais tellement pas être à leur place ! »

Les athlètes paralympiques doivent passer par des processus de sélection par le corps médical, qui sont humiliants et arbitraires.

C’est une forme de déshumanisation : on ne nous regarde toujours pas comme des êtres humains, mais comme des sources d’inspiration et des leçons de vie. C’est une vision extrêmement dépolitisée du handicap : ce serait à l’individu de dépasser son handicap sans prendre en compte l’environnement dans lequel il évolue. Toutes les barrières à l’émancipation sont renvoyées à des difficultés individuelles. La société se dédouane complètement.

Les para-athlètes bénéficient à l’occasion de ces Jeux d’une exposition mondiale. Ne peuvent-ils pas porter un discours politique, comme le font d’autres sportifs et sportives ?

Les para-athlètes sont assigné·es à être des représentant·es de leur communauté. C’est un mécanisme qu’on voit avec d’autres minorités. On n’attend pas des athlètes valides qu’ils parlent au nom de tous les valides. Et ce sont ceux qui ont une reconnaissance sociale et financière, et une forte exposition médiatique, qui peuvent plus facilement porter un discours politique.

L’espace médiatique des athlètes paralympiques est au contraire extrêmement réduit. J’imagine que dans ces moments de réussite, ce n’est pas facile de porter des paroles politiques fortes. Iels sont parfois très précaires, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques pour eux. Ce n’est pas une attente que j’ai envers elleux.

Il y a une multitude de formes de handicaps. Vous vous êtes penché·e sur la manière dont sont construites les classifications des handicaps, très nombreuses et complexes. Que disent-elles de la perception du handicap ?

Pendant les Jeux olympiques, on voit des corps parfaits, normés. On vient plaquer ça sur les Jeux paralympiques, alors que le principe même du handicap est d’être extrêmement divers.

Les athlètes paralympiques doivent passer par des processus de sélection par le corps médical, qui sont humiliants et arbitraires, et au fond assez opaques. Des personnes peuvent voir leur carrière complètement effacée parce qu’elles vont changer de catégories. Et à l’intérieur des catégories, il y a des différences de capacités parfois tellement énormes que la compétition n’a plus de sens.

Certains handicaps sont plus exposés que d’autres. Les handicapé·es intellectuel·les sont eux presque absent·es : ils ne peuvent concourir que dans trois disciplines. Il y a donc des handicaps plus dignes d’être mis en lumière que d’autres ?

Les personnes sourdes et les handicapé·es intellectuel·les ne sont pas considéré·es comme assez handicapé·es d’un point de vue physique. Les sourd·es sont exclu·es des Jeux paralympiques, mais aussi des Jeux olympiques par manque d’accessibilité. Quant aux handicapé·es intellectuel·les, ils ont été exclu·es puis réintégré·es, mais à la marge.

Il y a au contraire une surreprésentation de certaines formes de handicap, notamment des handicaps qui peuvent être « compensés », avec de très gros guillemets, par la technologie. Cela entretient le fantasme que la technologie peut supprimer le handicap. Pendant le port de la flamme, une personne paralysée marchait grâce à un exosquelette. Au lieu de célébrer les personnes pour leurs handicaps, on les célèbre pour leur capacité à imiter les capacités des valides grâce à la technologie.

On célèbre ici le sport de haut niveau. Qu’en est-il de l’accès au sport ordinaire ? N’y a-t-il pas un double discours ?

Être handicapé et vouloir faire du sport, cela demande énormément de ressources : il faut pouvoir se déplacer, payer un équipement adapté, etc. On ne peut pas claquer une somme phénoménale d’argent dans les Jeux olympiques et paralympiques tout en laissant à l’abandon des infrastructures sportives, qui ne sont pas toujours accessibles, et prétendre que l’on se soucie de l’accès au sport des personnes handies.

On célèbre l’inclusion, mais on assiste à un renforcement du contrôle social, à une surveillance accrue des personnes perçues comme dangereuses, notamment hospitalisé·es avec des maladies psychiatriques, ou celles qui ont été privées de leur liberté de circulation.

De la même manière, les pouvoirs publics ont beaucoup communiqué sur la construction de logements accessibles aux personnes handicapées. Mais ils ont simplement appliqué la loi de 2005 sur l’accessibilité ! Pourquoi a-t-il fallu attendre des Jeux pour que l’État fasse respecter ses propres lois ? Ces logements sont très chers. Qui pourra se les payer ? La majorité des personnes handicapées vivent sous le seuil de pauvreté.

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